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Les Lumières en Amérique: America and the Enlightenment

As North America was about to erupt with the American revolt against imperial Britain in the late 1700s, many liberal currents in Europe were feeding this move toward freedom.

My 2009 essay for a panel discussion on the Enlightenment held in Divonne, France focused on the connections between American revolutionary thinkers, principally Paine and Jefferson, and the French Enlightenment, notably  Voltaire.

 

David Winch, 2009

Les Lumières en Amérique

L’ère des grandes révolutions, américaine et française, au 18e siècle foisonne de personnalités dynamiques, de projets historiques ambitieux et de courants de pensée d’une audace sans précédent. Les Lumières y sont pour beaucoup, des deux côtés de l’Atlantique.

Les thèmes majeurs reliant les Lumières à l’Amérique du Nord se résument assez facilement. Le siècle américain a surtout été marqué par son héritage du 17e siècle britannique et ses grands empiristes, dont John Locke, mais l’empreinte française y reste indélébile.

Cet exposé se résumera donc en trois parties :

– Le contexte culturel – le 18e siècle en Amérique du Nord ;

– Les Lumières « plus »  – l’innovation et l’audace de la Révolution américaine ;

– Jefferson, le Voltaire de Virginie ? — vie et pensée parallèles avec des différences de style et d’accent.

  1. Le contexte culturel du 18e siècle en Amérique du Nord

Si l’on compare des époques historiques, il est toujours pertinent de présenter le cadre et/ou contexte socioculturel.

Au début du 18e siècle, le continent d’Amérique du Nord reste une terre vierge pour les Européens : en 1700, d’après le grand historien Arnold Toynbee, un observateur averti aurait pu prévoir un  continent majoritairement francophone avec, dans son extrémité Nord-est, un petit îlot de langue anglaise[1]. Aujourd’hui, sauf erreur, on constate le contraire.

 Ce qui amène à la première évidence historique : la nouvelle population de ce continent au 18eme siècle pouvait espérer fonder une civilisation originale, mais en même temps vivait à l’ombre du 17e siècle anglais et de ses guerres de religion tout en se nourrissant de son héritage intellectuel et culturel.

 Sans le poids historique des monarchies européennes, les colons anglais se sont, par contre, sentis affranchis de leurs guerres de religion, qui ont tant marqués les réfugiés,  les Puritains entre autres.

Loin donc de faire une tabula rasa historique, les ambitieux d’Amérique sont inféodés aux idées de l’Age de Raison anglais : de John Locke surtout, mais aussi de David Hume. André Kaspi, de l’Université de Paris I, constate que Thomas  Jefferson, symbole le plus marquant de cette époque, « incarne les Lumières outre-Atlantique …  [et] respire l’air du temps »[2]. Même si Benjamin Franklin incarne en France la nouvelle Amérique, sur le terrain, en Amérique, Jefferson travaille à en jeter les fondements intellectuel et éthique.

On relance la société sur des bases entièrement nouvelles.

Jefferson a lu De l’Esprit des lois de Montesquieu vers 1770 ainsi que Voltaire à cette époque; quant à Rousseau, rien n’est certain (Le Contrat social sort en 1762).

A l’ère prérévolutionnaire américaine, plusieurs courants américains exprimaient les thèmes des Lumières:

  • D’une part, le scepticisme de Jefferson et de ses compatriotes à l’égard de l’ordre politique et de la théologie établie, et la volonté de le dépasser les erreurs de l’Europe ;
  • Une grande volubilité politique, à l’image du pamphlétaire Thomas Paine[3], et un désir de changements politiques profonds ; et
  • La conviction de lancer une société nouvelle, sur d’autres bases que les sociétés monarchiques de la vieille Europe.

2/ … Les Lumières – plus

Si la Révolution américaine avait eu un directeur de marketing, on peut imaginer qu’il l’aurait intitulé Les Lumières / the Enlightenment – plus.

Loin de suivre passivement, les nouveaux Américains effectuent une fuite en avant historique – vers plus de liberté individuelle, surtout vis-à-vis de l’Etat, plus d’innovation politique (nouvel équilibre des pouvoirs de l’Etat), plus de liberté de parole (premier Amendement à la Constitution de 1787).

A ce titre, la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis du 4 juillet 1776 a été unique en son genre, en partie par son audace. Il faut le répéter, surtout en Europe :  la Révolution américaine a précédé de 13 ans la Révolution française, et mérite donc l’attention accordé à un pionnier.

La Déclaration d’indépendance, rédigée officiellement en comité en 1776, mais en réalité produit de l’esprit de Jefferson, est un document clair et facile à lire. Le passage essentiel tient en quelques lignes du préambule. En lisant ces quelques lignes, il faut imaginer l’effet explosif qu’elles auraient produit venant d’un orateur grec ou d’un tribun romain :

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. [4]

Le membre de phrase la vie, la liberté et la recherche du bonheur a d’ailleurs été corrigé lors du Congrès de 1776, avec le  remplacement de « la propriété »  par « le bonheur ». Passage donc, du pur Locke à ce Saint Just appelle « cette idée nouvelle en Europe », le bonheur.  Toutefois, la recherche du bonheur trouve ses racines en Europe, notamment chez le philosophe suisse Jean-Jacques Burlamaqui[5], qui proclama qu’il existe des droits naturels et fondamentaux qui ne seraient pas violables par des rois ou des parlements.

Jefferson a décrit ainsi son effort constitutionnel :

Elle [la Déclaration] ne visait pas à l’originalité des principes ni à celle des sentiments, mais elle n’était pas non plus copiée dans un quelconque écrit antérieur : elle cherchait à exprimer l’esprit américain (…). Toute son autorité repose donc sur sa façon d’harmoniser les différents courants d’idées de l’époque, qu’ils fussent exprimés dans les conversations, dans la correspondance, dans les essais ou dans les traités élémentaires de droit public, tels ceux d’Aristote, de Cicéron, de Locke ou de Sydney.[6]

Il faut souligner qu’ici Jefferson ne crédite ni Voltaire, ni Montesquieu, ni Rousseau, ni l’Encyclopédie. Après tout, l’équilibre des pouvoirs naît de la pensée d’Aristote, reprend vigueur avec Machiavel et trouve son application dans « la Constitution » de l’Angleterre. Les bases de l’innovation américaine étaient donc déjà jetées, bien avant les Lumières proprement dites.

Toutefois, l’exposé le plus clair et le plus complet de cet « équilibre »  a pour auteur Montesquieu (1689-1755). Lorsque Jefferson lit De l’Esprit des lois, aux environs de l’année 1770,  ce qui le séduit tout particulièrement, c’est la théorie des climats, les sols les plus pauvres étant les plus propices à des régimes despotiques, tandis que les climats tempérés donneraient lieu à un plus grand esprit d’entraide, et donc à l’esprit démocratique[7]. C’est aussi l’idée qu’un gouvernement républicain se fonde sur « la vertu », sur la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général.

Cette référence au  « climat » me permet donc, en tant que Canadien, d’ouvrir une parenthèse sur ces  « quelques arpents de neige » (dixit Voltaire[8]) qu’était alors le Canada, aujourd’hui le Québec.

A cette époque, le Canada est très isolé, physiquement séparé par de longs voyages maritimes durant des semaines, ce qui, en distance psychologique, équivaudrait à une colonie sur la Lune aujourd’hui. Il n’est donc pas surprenant que le fait de vivre dans cette petite colonie de quelque 55 000 âmes et de subir la Conquête britannique en 1759 ait détaché les  « Habitants » des courants culturels de la mère patrie, la France. A ce point qu’un grand historien du Canada français, Mason Wade, dans son volumineux The French Canadians 1760-1967, ne trouve point l’occasion de mentionner Voltaire – sauf pour signaler les applaudissements de ce dernier lors de la défaite du général Montcalm et des forces françaises à Québec. Cela pourrait être le précurseur, espéra le philosophe, d’une libération de l’Amérique tout entière[9].

Toutefois, le Canada français se trouve pointé du doigt, dans la Déclaration d’indépendance américaine, comme l’exemple à ne pas suivre. Dans le préambule de la Déclaration, sorte de cahier des doléances visant les méfaits du roi Georges III d’Angleterre, on évoque le triste sort d’une  « province voisine » où la tyrannie monarchique aurait suivi la Conquête anglaise de 1759.

En même temps, la chute de Québec a précipité une plus grande autonomie des colons américains, avec le retrait des forces britanniques venues contrecarrer les Français. Paradoxalement, la Conquête du Canada en 1759 a donc indirectement précipité la Révolution américaine[10].

Jefferson, le  «Voltaire de Virginie »?

Deux personnages clefs des Lumières – Thomas Jefferson et Voltaire – font montre d’une nette ressemblance entre eux, malgré leur situation respective sur les rives opposées de l’Atlantique. « Appelé par la droite religieuse de son époque  « le Voltaire de Virginie », Jefferson, comme Franklin, était un vrai philosophe des Lumières dans tous les sens » , écrit en 2006 une critique américaine[11]. Elle rappelle l’affirmation de Jefferson en 1784 selon laquelle peu lui importe que son voisin croie en un dieu ou en vingt dieux – cela ne lui fera pas plus mal. La rhétorique surchauffée du doyen de l’Université Yale (traitant Jefferson de « jacobin » et  d’« athée » montre à quel point Jefferson a suivi la voie tracée par Voltaire, notamment  par son vigoureux scepticisme  et sa volonté de réformer les fondements politiques de la société. (Il existe également une similitude de mode de vie – est-ce que le domaine quasi seigneurial de Monticello a été conçu par Jefferson comme l’équivalent du château de Ferney ? A ce titre, il faut mentionner une  vidéo de la Voltaire Society of America « Jefferson and Voltaire » [12] qui rapproche les deux personnages.)

Jefferson voulait qu’on se souvienne de lui pour trois de ses œuvres: la Déclaration d’indépendance, le statut de Virginie pour la liberté religieuse de 1786, et la fondation de l’Université de Virginie – et chacune affiche haut et fort sa laïcité.

Mais, sur le fond, Jefferson et Voltaire arrivèrent à des idées semblables par des voies différentes. Dans la correspondance qu’il entretenait avec John Adams[13], par exemple, Jefferson  a posé beaucoup de questions sur la religion. Lorsque Jefferson insistait pour qu’Adams définisse son credo personnel, ce dernier l’a résumé ainsi : “Be just and good”. Et Jefferson de répondre : “Après entre cinquante et soixante ans de lecture religieuse entre nous deux, respectivement, on conclut avec ces quatre mots » . Il ajoute que, par contre,  tout ce que les curés enseignent se résume par quatre mots différents : « ubi panis, ibi deus. » 

 Il ajoute que, au-delà de ces principes de base, là ou deux personnes ne pouvaient se mettre d’accord,  il n’y aurait qu’erreur et illusion.  Et Jefferson de souligner, « There are no sects in geometry. One does not speak of a Euclidean, an Archimedean. When the truth is evident, it is impossible for parties and factions to arise… Well, to what dogma do all minds agree? To the worship of a God, and to honesty”.

Cela ne pouvait qu’être l’écho de Voltaire, dont le Dictionnaire philosophique concluait qu’il ne saurait y avoir des « sectes en géométrie »[14].

Par contre, de même que ses points de vue théologiques soigneusement cachés au public américain ne firent pas scandale, il n’eut pas d’ « affaire Calas » chez Jefferson, un homme résolument discret. Alors que des  questionnements à propos de son ambiguïté envers l’esclavage l’ont toujours poursuivi. Il en a proposé l’abolition à plusieurs reprises, mais sans vraiment insister.

Quelles Lumières ?

Il importe donc, en guise de conclusion, de se demander Qui influence qui ? Qui illumine qui au 18e siècle en Amérique du Nord ? Qui précède qui ?

L’Amérique révolutionnaire a effectué un franche déplacement des bornes politiques. Surtout, la Déclaration d’indépendence américaine n’avait pas d’égal en Europe, et ce, au moins depuis la Révolution anglaise et 1688.

S’agit-il d’un va-et-vient des Lumières ?

A Paris, en août 1789, Jefferson participe a la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, marchant sur les pas de Franklin et Adams à Paris.

Ses Notes on the State of Virginia influença Paris dès 1785[15].  Il a d’ailleurs aidé le marquis de Lafayette à élaborer une charte des droits propre à la France, ce qui influença fortement la Déclaration des droits que Lafayette présenta a l’Assemblée nationale en juillet 1789[16].

Et, bien sûr, un autre révolutionnaire, Thomas Paine, pamphlétaire redoutable (adversaire de  Burke et autres anti-Lumières) a beaucoup agité les révolutionnaires français, jusqu’à en être embastillonné.

On peut donc appeler cette époque : le siècle des idées en mouvement; ou, mieux, idées sans frontières.  Le nouveau monde invite l’ancien à se lancer dans la réalisation de ses propres idées …

 Notes – – – – –

[1] Toynbee, Arnold, A Theory of History.

[2] André Kaspi,  « Jefferson, le père de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis »,  ENA Mensuel, numéro hors série, « Politique et littérature », décembre 2003.

[3]   Thomas Paine, Common Sense, Oxford University Press, 1998.

[4] Voir http://fr.wikipedia.org, « Déclaration d’indépendance des Etats-unis d’Amérique ».

[5] Voir « Connections : A celebration of the historic ties between Geneva and the United States of America », exposition organisée par la Mission permanente des Etats-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations unies à Genève, 4 juillet 2007.

[6] Jefferson, lettre de 1825, cité in Kaspi, op. cit.

[7] Montesquieu, De l’Esprit des lois, Troisième partie, Livre XIV ; Editions Gallimard, Paris, 1995.

[8] Voir Candide, Voltaire.

[9]  Wade Mason, The French Canadians, 1760-1967, vol. 1, p. 44, MacMillan Canada, Toronto, 1968.

[10] Christopher Hitchens, Thomas Jefferson : Author of America,  Harper Collins, New York, 2005.

[11]  Brooke Allen, “Jefferson the Skeptic”, The Hudson Review, vol. LIX, no 2 (été 2006).

[12]  “Jefferson and Voltaire”, documentaire vidéo, Voltaire Society of America.

[13]  Correspondance, cité dans Brooke Allen, op. cit.

[14]  Dictionnaire philosophique, Voltaire, « Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du doute et de l’erreur. Scotistes, thomistes, réaux, nominaux, papistes, calvinistes, molinistes, jansénistes ne sont que des noms de guerre. Il n’y a point de secte en géométrie ; on ne dit point un euclidien, un archimédien. Quand la vérité est évidente, il est impossible qu’il s’élève des partis et des factions. Jamais on n’a disputé s’il fait jour à midi ».

[15] Brooke Allen, op cit., p. 16.

[16] Op cit., p. 19.

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